samedi 6 janvier 2007

Diario Freddo - Dimanche 6 janvier 1985


Ma mère aux yeux d'Asie

Au regard de diamant
A la douceur de statue de jade.

Ma mère au sourire de boutique chinoise
Aux éclats de rire de la fête du Têt
A l'orgueil des familles de mandarins.

Ma mère à la richesse des souvenirs d'enfance
A la mémoire de ville bouillonnante
Aux incertitudes d'un pays déchiré.

Ma mère au désespoir des vaincus
Au chagrin du prisonnier de guerre
A l'inquiétude des lettres et des colis postaux.

Ma mère à l'angoisse d'un rendez-vous manqué
A la lourde tristesse d'un voyage inutile
Au deuil de foulards de soie blanche.

Ma mère au grain d'espoir d'un visa pour la liberté
Ma mère aux frissons d'un exil en hivers
Ma mère au courage de cathédrale gothique.

Ma mère à la force du tigre des montagnes
Ma mère à la patience des pluies de la mousson
Ma mère à la volonté obstinée du fleuve qui traverse la plaine.

Poème de Lou Schibronsky en l'honneur de Madame Lê Thi Nguyêt.
Atelier d'écriture de Danièle Bajomée, Université de Liège.

****

Et bien parlons-en de deuil, c'est un deuil littéraire dont il s'agit maintenant:
Si le journal de Lou Schibronsky a refait surface dans mes archives, le classeur contenant une douzaine de textes poétiques rédigés par l'étudiante dont nous suivons les errances s'est égaré.

Où sont les textes de jeunesse de Lou Schibronsky?
Quelques uns furent publiés, comme "Quelle est la différence entre une cigogne?" dans une petite revue littéraire qui n'existe peut-être plus, ou offerts aux personnes concernées comme c'est le cas de "Ma mère aux yeux d'Asie" et "Ma souris" le portrait de son amant Max Schibronsky ( Cf. Septembre 1985), mais comment retrouver ces personnes? Et comment ferons nous pour lire "Nouaisons populaires" et "La rencontre insolite..." et tant d'autres des petites créations fraîches et spontanées qui révélaient tout l'enthousiasme de la jeunesse de leur auteur?

Le cycle de la vie, c'est aussi: s'apercevoir en rédigeant un blog que les archives sur lesquelles l'auteur comptait se fonder sont lacunaires, comme la mémoire. Que dès lors ce recyclage de textes devient un recyclage de mots, dans l'univers des mots qui nous appartient à tous, et de ces mots partagés naîtront de nouveaux textes pour honorer la mémoires des petits enfants perdus de Lou Schibronsky dont on ne se souviens que de quelques titres.

Des textes pour parcourir les sept étapes du deuil:

Le déni: "Non, je ne les ai pas perdu, ils doivent être dans le grenier de la maison à vendre..."
Le marchandage: "Et si je retrouvais Madame Le Thi - vit-elle encore?, elle doit bien avoir 82 ans?-, les petites revues littéraires, les archives de l'université de Liège, les amis de Lou, les membres de son atelier d'écriture Lou Schibronsky Verlag?"
La colère: "Je parie que j'avais laissé ce dossier chez mes parents avec mes cours de maîtrise en traduction et que ma mère a tout envoyé aux vieux papier, comme elle a donné ma robe écossaise verte et mon karate-gi à une oeuvre, un jour où elle était en colère contre moi parce que j'avais osé la critiquer..."
La tristesse: "Ces textes de jeunesse, c'était le premiers "enfants de papier" de Lou, des enfants perdus? morts-nés? des fausses-couches? Ils étaient pourtant si beaux, même dans leur maladresse, avec leur fraîcheur, leur innocence, leur spontanéité,..."
L'incompréhension: "Comment ai-je pu les laisser traîner dans le grenier, chez mes parents, les prêter à quelqu'un, quoi d'autre? Comment ma mère a-t-elle pu les jeter, les détruire? Ne pas se rendre compte combien ils étaient précieux et les jeter par mégarde, ou justement se rendre compte de cela et délibérément les détruire ? Comment ai-je pu être aussi idiote et imprudente pour venir mettre ma mère en colère, et en même temps oublier qu'elle détenait encore les archives précieuses de mes débuts littéraires? Comment ai-je donc pu oublier ses sentiments mêlés vis à vis de la fiction et de l'écriture de création? Pourquoi s'attaquer à de pauvres mots innocents?"
L'acceptation: "Peut-être qu'il vaut mieux se disputer ainsi que d'en venir aux mains. Peut-être que sa violence et sa brutalité, déclenchées par mes critiques acerbes, étaient la seule défense qu'elle s'est trouvée, elle qui n'a pas, comme elle me le fait chaque fois remarquer, mon entraînement à l'argumentation, à la bataille des mots. Les mots, pour les "argumentateurs" malhabiles, ne sont-ils pas la meilleure corde à la quelle se pendre? Elle dit parfois que je l'ensorcelle de mes mots, que je la manipule comme je veux, que j'aurais toujours le dernier mot. Alors à elle, je dois bien lui concéder un dernier geste d'autodéfense."
Le réinvestissement: "Ce qui est perdu est perdu, mais je chose ne sont pas aussi mauvaise qu'elles le semblent. Il est temps que tu lâches prise sur le passé. Gilbert Ryle disait que retourner sur ses vieux textes de jeunesse, c'est faire comme un chien qui remange son vomi. Bah! L'atelier d'écriture de Lou Schibronsky, c'est dépassé. Tant d'eau est passée sous les ponts depuis....
Et tu as maintenant la capacité d'écrire. Le talent s'est développé. Et tu as en toi un trop-plein d'histoires qui n'attendent que ton bien-vouloir pour sortir. Alors les mots perdus, les bribes dont tu te souviens, tout ça, tu les remets dans le creuset de l'alchimiste et tu en fait de nouveaux écrits. Même si de tes bateaux s'est perdu en mer, tu reparts à la pêche, tu jette le filet du langage de l'autre côté et tu ramènes assez de "silver darlings" pour nourrir toute la maisonnée.

Tu viens de t'embarquer dans un nouveau projet, justement: c'est le blog "Diario Freddo", deux journaux d'écrivains en écho : celui de la jeune fille et celui du coach. En parallèle, l'après-guerre du Vietnam et les nouveaux conflits américains en Afganistan et en Irak. La division du travail amoureux dans la multiplication des amants de l'étudiante Lou Schibronsky et l'unification de l'amour et de l'amitié dans l'harmonisation et dans la maîtrise de soi du philosophe. L'équilibre enfin trouvé entre les besoins et les désirs de la vie intérieure et les exigences de la vie publique sociale."

Lucie Antoniol
15/1/2007

Aucun commentaire: