lundi 30 avril 2007

Diario Freddo - Mardi 30 avril 1985

Tonio Adrénaline m'a envoyé quelques poèmes de son cru.

1.
Dans l'éternel exil des désirs crépusculaires,
Une musique seule convient pour meubler le décor
Et tromper le souverain désespoir des corps,
Ami, le tango est cette douleur nécessaire.


2.
La musique décida dans ses hésitations rythmées
D'arpéger mon malheur sur le mode mineur,
Égrenant ma vie en longues gammes mélancoliques.
J'assistais impuissant à cette sarabande,
Croyant jusqu'à la dernière mesure à un songe.
C'était hier et je n'ai pas dormi.

3.
Adieu, c'en est assez,
Puisqu'il faut ici-bas toujours tout reconstruire,
Je m'en irai ailleurs,
Chercher tout ce qu'ici,
Je ne peux que détruire.

Je m'en irai au hasard des chemins
Arpenter, calme et décidé,
Dans la tiédeur du matin,
Les sentiers de l'éternité.

Je m'en irai ailleurs,
Cueillant ici la fleur et là le fruit
Qui auront l'inédite saveur
Des couleurs autrefois interdites.

J'irai m'égarer sur ces routes de nulle part,
Espérant découvrir dans un pays perdu,
Le sentier oublié, la piste abandonnée,
Qui rejoindra tous ceux qui ont bu aux sources du Léthé.

Diario Freddo - Lundi 29 avril 1985

Femme de rêve et de papier

Femme faufilée
Femme décousue
Doutes d'enfant
Encore

Une histoire inventée de toute pièce
et qui te fait souffrir.
Laisse tomber tes scrupules.
Ce n'est pas toi qui dois regretter quoi que ce soit.
Ce n'est pas à toi de t'excuser.

lundi 23 avril 2007

Nouveau roman à lire 2007

« Est-ce que la vie est un jeu ? Si elle l’est, qui en fixe les règles ? Dieu et le Bouddha n’ont pas l’air de s’entendre là-dessus. Le premier nous dit qu’on a qu’une vie sur cette terre, après quoi on monte au paradis ou on descend en enfer, selon l’état de nos péchés. Le second nous enseigne qu’on ne monte ni ne descend nulle part : on tourne. C’est ce que m’a appris l’Oncle Minh – encore lui !

Il dit que dans le bouddhisme, le péché n’existe pas, seulement l’ignorance, ce qui explique pourquoi on a plusieurs vies : on tourne et à chaque tour – à chaque vie -, on a une chance de s’améliorer. Et on tournera autant de fois, on aura autant de vies qu’il faudra pour sortir de cette ignorance et atteindre le but ultime de tout bouddhiste : l’Eveil. Bien sûr, je ne l’ai pas laissé s’en tirer aussi facilement.

- Ca veut dire quoi, oncle Minh ?

- Ca veut dire qu’on est conscient, ma petite Tuyêt.

- De quoi ?

- Des causes profondes de la souffrance.

- Et alors ?

- Et alors on peut la neutraliser et atteindre la sérénité et, de là, accéder à la Joie.

- A la joie ? Il faut plusieurs vie pour apprendre à devenir joyeux ?

- L’ignorant est aveugle et le monde est fait de leurres. Tel qui croit fuir la souffrance y fonce, victime de ses illusions. Nous lisons tous le même livre mais ne tournons pas les pages au même rythme.

Avec tout ça, je me demande bien pourquoi on vit ! Monter, descendre, tourner en rond, à quoi ça rime ? Même si j’étais loin de comprendre tout ce que disait Oncle Minh, il me sautait aux yeux que je courais moins de risque avec le Bouddha qu’avec Dieu. »

Extrait de Tuyêt-Nga Nguyên, Le journaliste français, collection Le grand miroir, éditions Luc Pire, 2007.

mardi 17 avril 2007

Diario Freddo - Jeudi 18 avril 1985

Rêveries à propos des erreurs et des malentendus de jeunesse.
Désir de se justifier.
Chimères et orgueil que tout cela.
Puisque le but n'est pas une réconciliation.

Aimer TvT : c'est aimer au présent et à l'actif.

Mes professeurs me conseillent d'apprendre à lire l'allemand.
La mère de Lo m'encourage aussi. Puisque je lis déjà le néerlandais, lire l'allemand (sans pour autant savoir le parler) est un but tout à fait à ma portée, m'assure-t-elle. Et puis Wittgenstein est nettement plus facile à lire que Kant ou Nitezsche. Elle sait de quoi elle parle, elle a écrit son mémoire de licence en germanique sur Nietzsche.
Ah... la vie est trop courte pour apprendre l'allemand...

Ma copine de classe, Kalinka :
"Jeune fille en perdition, puisses-tu trouver ta voie."

Diario Freddo - Mercredi 17 avril 1985

La rencontre insolite d’un bouton de chemise et d’un mégot de cigarette sous la table d’un gébécuique.

Nous sommes assis l’un en face de l’autre. Nous avons fini de manger. Il ne dit rien, moi non plus. Il ne me regarde pas. Il pense, les yeux fixés sur un point sans importance, dans la rue qu’il voit à travers la fenêtre. Je me laisse aller au même genre de rêverie. Mon regard rencontre sous la table voisine un bouton, une cigarette à moitié fumée. Cigarette….

Sur son paquet de cigarette, j’avais écrit quelques mots doux : dans cette ambiance de fête, on ne s’entendait plus. A verso d’une enveloppe d’allumettes, il avait répondu d’un équivoque : « Don’t forget I am thirty ». Son âge m’importait peu, je ne voulais que lui. L’intérêt que je lui portais ne le dérangeait pas. Je lui plaisais, évidemment, mais j’avais seize ans. Il hésitait encore à se rapprocher de moi. Sans doute par crainte d’essuyer un refus catégorique. Après tout, nous n’avions bavardé jusqu’alors qu’à l’abri de la plaisanterie.

Le lendemain, il me parlait de sa vie, de ses amours perdus, d’un mariage qui avait échoué un mois juste avant le jour des noces. Il racontait ses nuits alcoolisées, ses vacances au canada et ses succès professionnels. Et puis encore la vie et ses mauvaises surprises. Il disait combien il était las de cette comédie que les hommes doivent jouer aux femmes pour les séduire. « Les femmes, il ne faut jamais leur dire qu’on veut coucher avec elles, sinon elles s’enfuient.»

Et moi, j’étais restée là à écouter ses théories, à l’écouter parler de sa vie, à marcher à ses côtés et à le regarder. Il avait l’air hypnotisé par ses propres paroles. Il reprenait périodiquement la litanie de sa vie, comme si ma présence ne comptait pas, comme si j’existais de moins en moins. Et il commençait à m’agacer. Je n’appréciais pas du tout d’être réduite, morceau par morceau, à une paire d’oreilles. C’était à moi de trouver le mot de passe, la clé qui le délivrerait de son discours.

J’ai saisi l’occasion : « Et si c’était une femme qui te séduisait ? »

- « Oh ! Ce serait tellement, tellement ….plus … cool … ». Il s’était arrêté de marché et m’avait regardée avec un regard étonné qui disait « Serait-ce possible ? »

Il a lu dans mon regard quelque chose de furieux, une rage adolescente. Il a eu l’air de comprendre quelque chose un moment. Je ne saurais dire quoi, mais je sais qu’il se trompait.

- « Petite fée » dit-il en me caressant la joue.

Etait-il prêt à m’embrasser ou à éclater de rire ? A cet instant je me rendis compte que j’avais peut-être finalement réussi à éveiller son désir.

Nous nous promenions, moi et l’homme que je désirais, seuls, dans les bois. Son regard n’était plus celui d’un petit garçon à sa compagne de jeu ni celui d’un frère à sa petite sœur. C’était pour la première fois celui d’un homme à une femme. Et comme toutes les femmes, j’ai eu un moment l’envie de m’enfuir. N’avais-je pas déjà atteint mon but, selon ses théories ?

Je suis restée. Je voulais poursuivre la promenade : « On marche ? » - « Oui », dit-il, en me prenant par les épaules. « J’attendais ce moment, pourtant je n’osais pas y croire. Je ne voulais pas expliquer nos rencontres fréquentes, et puis… »

Pour le faire taire je l’ai embrassé. Je n’en pouvais plus de ses vains discours.

- «Ecoute, je ne l’ai jamais fait. Je veux que ce soit toi le premier. C’est la seule explication qui compte. Compris ?»

Il a semblé embarrassé ou ému. Je me demande maintenant ce qui pouvait bien se passer dans sa tête. Mais là, sur le moment, ça m’était complètement égal. Et s’il avait imaginé ce qui se passait dans la mienne, m’aurait-il soulevée dans ses bras comme une jeune mariée ? M’aurait-il emportée comme le héros d’un film qui ravit la belle héroïne qui vient de lui avouer en pleurant un amour passionné et sans borne ?

Je n’avais nullement l’intention d me donner à lui. Je voulais le prendre. Je ne m’abandonnais pas à lui. Je ne lui cédais pas, Je ne lui offrais rien. Car ce n’est pas un cadeau ce dont on se débarrasse. Ce que je voulais de lui, c’était une initiation. Et de quoi me rendre la mort indifférente. Je pensais souvent « Mourir enfant, c’est comme aller en Egypte et ne pas voir les pyramides ! » L’idée de cette mort m’était insupportable.

Alors, j’ai joué le jeu. J’ai fait la jeune fille ravie. Je l’ai laissé m’emporter en étouffant à moitié un rire de surprise. « Mais, tu veux dire ... Ici ? » - « Mais, pourquoi pas ? Je t’en prie, dans la nature, c’est si beau ! » dit-il. – « Mais je ne peux pas…. » soupirai-je.

J’ai renversé la tête et j’ai vu la cime des grands pins, le vent qui faisait se balancer leurs branches. J’entendis les bruits de la forêt. C’était magnifique.

Il m’a déposée au milieu des fougères. Il a commencé par m’embrasser et me caresser. Il m’a débarrassée de mon vêtement doucement, pièce par pièce. Et nous n’avons plus parlé qu’avec nos yeux, nos sourires et nos rires. Et puis nous avons laissé parler le désir.

J’ai crié, c’est vrai. Je voudrais fabuler, parler de larmes et du bonheur de vivre. Dire que je jouissais, pour la première fois et dès la première fois. Parler du grand frisson bleu. Mais ce ne serait que des mensonges romantiques. Ecrire : « Le plaisir s’imposait à moi avec une force qui faisait trembler tout mon corps », comme dans un roman à l’eau de rose. Le sentiment qui dominait était tout simplement l’étonnement. Un étonnement d’enfant. Celui d’une rencontre avec soi, celui du premier geste, du premier pas, du premier mot articulé. Le plaisir n’était pas absent, mais je ne m’envolai pas au septième ciel. Je ne m’oubliai pas du tout. Je ne partageai rien. J’étais au contraire très présente, très consciente de la forêt. Je me sentais m’élargir, grandir, devenir aussi immense que la terre, aussi puissante que le vent. Des années plus tard, mon expérience de l’orgasme serait celle du bouillonnement des rapides, la chute d’un large torrent en cascade gigantesques. Une autre fois, celle de la déflagration brusque d’une bombe incendiaire.

Je ne sais pas et je ne saurai jamais ce qu’il a vécu. J’ignore encore quelles images peuvent donner une idée du plaisir d’un homme. Je n’ai pas osé lui demander. Je trouvais difficile de choisir des mots qui auraient sonné juste. J’étais troublée et je me taisais. Il a paré le premier. Il a prononcé quelques mots avec une voix d’emprunt : qu’il était temps de rentrer, si ça allait, si je n’avais pas faim ou soif. Je répondais par des signes de tête. Je souriais chaque fois que nos regards se croisaient.

Il avait été très doux. Parfait. Il avait pourtant l’air de s’excuser. Finalement, il a retrouvé sa voix habituelle, sur le chemin du retour et il m’a demandé : « Petite fée, comment est-ce possible ? Comment pourrais-tu m’aimer ? Tu sais bien que dans trois jours je dois retourner en Amérique. Et qui sait pour combien d’années ? » Je le savais et cela faisait un mois que, le poursuivant, je ne pensais qu’à cela : je décomptais les jours. – « Trois jours. Trois jours d’amour, c’est mieux qu’une éternité d’ennui. Trois jours entiers, c’est très bien. », lui ai-je répondu.

Il est parti. Il m’a téléphoné plusieurs fois d’Amérique. Un jour, il a appelé durant mon absence. Ma mère lui a répondu que ce n’était plus la peine, que j’étais avec un garçon de mon âge, maintenant. Il n’a plus jamais donné signe de vie.

Sous la table, le mégot, le bouton viennent d’être balayés par un vendeur. Je continue de promener mon regard au hasard. Sur la table, une souche. Au verso sont écrit quelques mots de bienvenue et de remerciement. Un mot m’accroche : il ressemble au nom de l’homme qui rêvasse en face de moi.

Et si je plie le K pour évoquer un H ? Je lui mets le bout de papier sous les yeux. Il a pris l’air de quelqu’un qui se réveille. Il a lu. Il a compris. Il a esquissé un rire gêné et détourné les yeux. Ila réagit. Il me regarde et sourit.

Lou Schibronsky ( Septembre 1984 - Avril 1985)

lundi 16 avril 2007

Ecrivain du jour : Pierre Deproges

"S’il est vrai que l’humour est la politesse du désespoir, s’il est vrai que le rire, sacrilège blasphématoire que les bigots de toutes les chapelles taxent de vulgarité et de mauvais goût, s’il est vrai que ce rire-là peut parfois désacraliser la bêtise, exorciser les chagrins véritables et fustiger les angoisses mortelles, alors oui, on peut rire de tout, on doit rire de tout. De la guerre, de la misère et de la mort. Au reste, est-ce qu’elle se gêne, elle, la mort, pour se rire de nous ? Est-ce qu’elle ne pratique pas l’humour noir, elle, la mort ? Regardons s’agiter ces malheureux dans les usines, regardons gigoter ces hommes puissants boursouflés de leur importance, qui vivent à cent à l’heure. Ils se battent, ils courent, ils caracolent derrière leur vie, et tout d’un coup ça s’arrête, sans plus de raison que ça n’avait commencé, et le militant de base, le pompeux P.D.G., la princesse d’opérette, l’enfant qui jouait à la marelle dans les caniveaux de Beyrouth, toi aussi à qui je pense et qui a cru en Dieu jusqu’au bout de ton cancer, tous, tous nous sommes fauchés un jour par le croche-pied rigolard de la mort imbécile, et les droits de l’homme s’effacent devant les droits de l’asticot. "
Pierre Desproges

Le coin du coach : "Lisez des romans !"

Nos émotions et nos besoins.

Qu’est–ce qui motive l’être humain ? L’intérêt égoïste ? Mais non, pas tout le temps ! Nos besoins sont bien plus complexes que cela. Nous avons beaucoup d’autres réponses émotionnelles. Quand vous voulez toucher quelqu’un, vous vous concentrez sur quoi ? Sur ses émotions. Ce sont les émotions, le moteur de notre action. Nous éprouvons des émotions quand nos besoins fondamentaux, ou bien ceux des personnes auxquelles nous tenons, ne sont pas satisfaits ou respectés.

Qu’est-ce qui fait vraiment une différence dans la qualité de la vie de quelqu’un?

Selon le life coach américain Tony Robbins, on peut retenir six besoins fondamentaux de tout être humain.

Ces besoins sont les suivants :

1 - le besoin de certitude : savoir à quoi s’en tenir, avoir des points de repères, se sentir en sécurité, en terrain connu, se sentir chez soi, avoir un certain contrôle sur sa vie et son environnement, etc.

2 - le besoin d’incertitude : être surpris de temps en temps, avoir un peu de variété dans sa vie, couper la monotonie du quotidien, être stimulé par son environnement, garder sa curiosité en éveil.

3 – le besoin de signifier quelque chose : partir à l’aventure, prendre des risques, avoir un impact sur les autres. Cela peut se faire d’une manière positive (être reconnu, être respecté, être écouté, etc.), aussi bien que d’une manière négative, (par la violence, la vitesse, la recherche du danger). Si je vous terrorise, je signifie beaucoup pour vous !

4 – le besoin de connection ou d’amour : avoir un cercle d’intimes, avoir des amis , être connu dans son environnement, être salué, avoir un rôle social, un réseau.

Ces quatre premiers besoins sont des besoins personnels, ensuite viennent des besoins plutôt spirituels :

5 – le besoin de croissance : se développer, apprendre, comprendre, grandir.

6 - le besoin d’apporter sa contribution au monde : exercer sa capacité d’aller au-delà de soi-même, d’être relié à quelque chose de plus grand que soi et d’intemporel.

(Ceci se réalise par exemple par des victoires, des exploits, des œuvres, des découvertes en tout genre.)

A votre avis, quand la plupart des gens commencent-ils à vivre réellement ?

Quand ils sont confrontés à la mort, à la finitude de notre séjour sur terre.

L’être humain est capable d’au moins 6000 émotions différentes. Combien pouvez vous en nommer ? Quatre, six, douze ?

Essayez d’en repérer et d’en nommer quelques unes, parmi celles que vous allez éprouver durant la semaine qui vient. Ce ne sera pas un exercice facile, je vous préviens.

Vous avez besoin d’aide ? Lisez des romans. C’est ainsi que nous apprenons à reconnaître les situations et à nommer et décrire les émotions humaines.

dimanche 15 avril 2007

Diario Freddo - Lundi 15 avril 1985

Pour en finir avec Wittgenstein

On a souvent rapproché la méthode « thérapeutique » du Wittgenstein des Philosophical Investigations de l’enseignement d’un maître Zen. Lire Wittgenstein, c’est commencer par renoncer à recevoir un quelconque enseignement, du moins sous la forme d’une doctrine de laquelle se réclamer. C’est aussi renoncer à attendre des explications et se contenter des descriptions d’usage de mots et des tableaux synoptiques d’où l’illumination doit jaillir. C’est ainsi prendre le risque de l’attendre en vain, cette illumination : le risque que le texte finalement ne nous dise rien.

Les grands problèmes de la philosophie traditionnelle et les tentatives pour leur apporter des solutions sont comme cette « troisième patte du poulet » à laquelle nous ne pouvons nous empêcher de conférer une existence. Ils sont des tentations et des désirs qu’il nous faut éteindre, mais auxquels, selon Wittgenstein, il nous faut aussi tirer notre chapeau, par égard pour ce vers quoi, en gesticulant sur place, l’idéaliste, le solipsiste ou le réaliste essayent vainement de faire mouvement.

Le contraste est surprenant pour celui qui se rapporte au texte de Wittgenstein après avoir lu certains interprètes, entre le grand maître génial qu’ils dépeignent – et promettent - et l’auteur ascétique « qui boude systématiquement son plaisir (et celui du lecteur) en matière de théorie », comme l’écrit Jacques Bouveresse dans La rime et la raison. Il est un maître déroutant qui suscite chez son élève le désarroi, même si c’est dans un but précis. Le lecteur novice peut ne pas dépasser ce stade de confusion (puzzlement, en anglais) et se demander à propos des commentateurs où ils vont chercher tout ça. Ne disent-ils pas eux-mêmes que les Investigations philosophiques sont le genre de texte qui peut se prêter à touts sortes d’interprétations délirantes à l’abri desquelles il est difficile de se maintenir. La situations des interprètes est très précaire parce qu’étant eux-mêmes philosophes, ils sont toujours sujets aux tentations théorétiques qui les conduiraient, s’ils y succombent à tirer une doctrine d’un texte qui se veut neutre – à peu près comme me magicien tire un lapin d’un chapeau.

Pour autant qu’il entreprenne une lecture wittgensteinienne des Investigations, l’interprète se faisant ainsi élève, est par rapport à notre lecteur novice un disciple aguerri qui serait déjà venu à bout de ses premiers koans, ces énigmes donnée à l’élève par le maître Zen pour qu’il y fixe son attention pendant la méditation. Il aurait déjà connu l’une ou l’autre forme d’illumination et viendrait dans ses «écrits faire partager aux novices son enthousiasme.

Qu’en est-il de ceux qui furent à proprement parler les élèves de Wittgenstein, pendant sa courte carrière à Cambridge ? Ce n’est pas parce qu’on a subi la cure wittgensteinienne que l’on devient thérapeute ni a fortiori un philosophe thérapeute de l’envergure de Wittgenstein.

Je vois deux possibilités extrêmes. Si le traitement s’est avéré efficace, l’étudiant atteint de philosophie se trouve libéré de toute tentation théorique (celle-ci a été réduite au silence) et dans une indifférence totale par rapport aux grands problèmes traditionnels, il s’en va étudier la médecine, le droit, ou quelque chose d’utile à la société.

Si le cancer philosophique a été découvert trop tard, et que malgré les différentes neutralisations wittgensteinienne, l’élève reste insatisfait, on le verra finalement se libérer non pas de son cancer mais de son thérapeute.

Il serait intéressant de voir les cas intermédiaires dans la réalité : ceux qui se sont dits disciples de Wittgenstein, bien que celui-ci n’ait jamais prétendu faire école. N’ont-ils pas fini par amender ou rejeter du moins sur certains points le discours du maître ? Autrement dit, n’ont-ils pas fini par ménager un espace pour leur propre discours philosophique, perpétrant ainsi un meurtre symbolique du père ? Je ne sais pas dans quelle mesure Wittgenstein ne s’exposait pas lui-même aux coups lorsqu’il exhortait à penser par soi-même. L’élève ne doit-il pas nécessairement tuer le maître ?

On peut concevoir des doutes sur l’efficacité du traitement wittgensteinien. Rencontrons nous un seul représentant du premier destin, la guérison totale ? Peut-on réellement se guérir de la philosophie ? Si l’on sait que Wittgenstein écrivait surtout pour apaiser ses propres tourments, on peut aussi se demander s’il a seulement réussit à se guérir lui-même, ou bien s’il n’a pas contribué, en élaborant des techniques thérapeutiques à entretenir et à nourrir le cancer philosophique. En définitive, le deuxième destin extrême envisagé, n’est il pas le plus wittgensteinien ? Il y était question de meurtre. Le Tractatus nous montre un exemple de suicide philosophique. Alors que son but est de réduire au silence tout verbiage métaphysique, l’auteur du Tractatus se permet d’écrire ce qu’on n’a pas manqué de décrire comme le chant du cygne de la métaphysique.

Comment réussit-il ce tour de force ? L’exposé se termine par un aphorisme qui a pour effet de biffer tout ce qui a été dit précédemment. Si vous l’avez bien compris, vous voyez que tout ce qui précède n’est que non-sens. Ce n’était qu’une tentative pour dire ce qui ne peut qu’être montré. Et cependant que cette entreprise n’a pas été totalement vaine puisqu’elle est l’échelle qui nous permet d’échapper à l’abîme philosophique, tandis que les théories et les écrits sur lesquels nous avions pris appuis du pied y sombrent.

Lou Schibronsky

Diario Freddo - Dimanche 14 avril 1985

Citation du jour:

"L'intériorité, l'intimité avec soi, pour une femme ne peut s'établir, ou se rétablir, que grâce au rapport mère-fille, fille-mère, qu'elle jouerait elle-même. Elle-même avec elle-même avant toute procréation. Devenant ainsi capable de se respecter dans son enfance et dans sa fonction créatrice maternelle. Ce geste est l'un des plus difficiles dans notre culture. Selon nos traditions, fidèles depuis des siècles à un Dieu-père engendrant un Dieu-fils à travers une Vierge-mère, le maternel féminin sert de médiation pour la génération d'un fils. Cette fonction, divine certes, n'établit pas une généalogie du divin entre femmes et notamment entre mère et fille."

Luce Irigaray,
Ethique de la différence sexuelle, Minuit, 1984.

Diario freddo - Samedi 13 avril 1985

L'anorexie peut aussi prendre des formes intellectuelles.
Elle ne me saisit pas seulement devant l'assiette, mais aussi à la table de travail.
Quand je vois tous mes livres et que je voudrais qu'ils ne contiennent tous que des images.
Quand je trouve que la bibliothèque est tellement plus belle, bien rangée.
Au moment où j'écris, les bouquins sont éparpillés sur la table et sur l'appui de fenêtre, à portée de la main.
Le fichier des citations règle leur valse lente.

MIND - BODY Pourquoi ce problème?

Dualisme:
l'esprit est quelque chose de non matériel ( non corporel)
L'âme comprend l'esprit, partie pensante, l'esprit est une faculté de l'âme.
A me et esprit peuvent survivre à la mort du corps.
Elles peuvent se réincarner dans un autre corps (métansaumatose).

Que le corps humain soit doté d'une ( et une seule?) âme (et donc d'un esprit) est inexplicable. (Le miracle)

Matérialisme:
Il n'y a que le corps palpable (par d'autres corps).
Le cerveau secrète la pensée comme le foie sa bile.
La pensée est un influx électrique dans les neurones.
C'est par ce que nous ne connaissons pas le fonctionnement du cerveau humain que nous nous sommes jusqu'ici contentés d'une description "animiste" de l'homme.

Spiritualisme:
Le corps n'existe pas, c'est une illusion! Seule la pensée existe. Ma pensée.

Monisme neutre:
Il n'y a qu'une seule réalité, ni matérialiste ni spiritualiste.
La réalité n'est ni mentale ni corporelle ou physique.
Ces prédicats sont distincts mais réfèrent à quelque chose de plus fondamental: un corps vécu.
Un organisme biologique avec ses comportements conscients, intentionnels.

Le dualisme semble être l'idée de l'homme de la rue, pourquoi?
D'où vient cette image de nous-mêmes?
D'où vient cette superstition de la causalité?

Lire: Gilbert Ryle, The concept of Mind
et Jacques Bouveresse, Le mythe de l'intériorité.

Contribution d'un lecteur : sa pensée du jour

Si tu peux voir détruit l'ouvrage de ta vie
Et sans dire un seul mot te mettre à rebâtir,
Ou, perdre d'un seul coup le gain de cent parties
Sans un geste et sans un soupir ;

Si tu peux être amant sans être fou d'amour,
Si tu peux être fort sans cesser d'être tendre
Et, te sentant haï sans haïr à ton tour,
Pourtant lutter et te défendre ;

Si tu peux supporter d'entendre tes paroles
Travesties par des gueux pour exciter des sots,
Et d'entendre mentir sur toi leur bouche folle,
Sans mentir toi-même d'un seul mot ;

Si tu peux rester digne en étant populaire,
Si tu peux rester peuple en conseillant les rois
Et si tu peux aimer tous tes amis en frère
Sans qu'aucun d'eux soit tout pour toi ;

Si tu sais méditer, observer et connaître
Sans jamais devenir sceptique ou destructeur ;
Rêver, mais sans laisser ton rêve être ton maître,
Penser sans n'être qu'un penseur ;

Si tu peux être dur sans jamais être en rage,
Si tu peux être brave et jamais imprudent,
Si tu sais être bon, si tu sais être sage
Sans être moral ni pédant ;

Si tu peux rencontrer Triomphe après Défaite
Et recevoir ces deux menteurs d'un même front,
Si tu peux conserver ton courage et ta tête
Quand tous les autres les perdront,

Alors, les Rois, les Dieux, la Chance et la Victoire
Seront à tout jamais tes esclaves soumis
Et, ce qui vaut mieux que les Rois et la Gloire,

Tu seras un Homme, mon fils.



Rudyard Kipling

Diario Freddo - Vendredi 12 avril 1985

"Raindrops on my windshield,
Tears from heaven."

Tom Waits


Lecture :

La route Blue, Kenneth White



"Pour connaître le vrai bonheur,
il faut voyager dans un pays lointain,
et même sortir de soi."

R. W. Emerson

samedi 7 avril 2007

Diario Freddo - Lundi 1er avril 1985

Théralène

Comme les jours où je me réveille emmurée,
Je suis dans le mur,
Prisonnière de la mitoyenneté du rêve et de la réalité.

Le souvenir de mes rêves est plus vif
Que le flou de ma vie qui veille
Qui manque de densité.

Je n'ai plus qu'une vague notion du passé
je ne sais plus d'où je viens
Où j'ai laissé la tâche entamée
Je ne sais pas où je vais
Ni qui dit "Je".

Je pose des actes plus irréels que des fantasmes.
Les gens assis autour de moi ne sont que le contour de leur légèreté nuageuse.
S'ils ne se taisent pas,
Leurs discours ressemblent à une musique d'anges.

Je fais tout le contraire de ce que l'agenda m'ordonne
En se moquant de moi
De son rire édenté.


Lou Schibronsky.