lundi 17 mai 2010

Diario Freddo - Lundi 14 octobre 1985

Si, quelquefois.

Nous viendrions par le même train, mais sans nous être rencontrés. Je serais avec un ami, monté à la même gare que moi. Un de ces vieux copains précieux qui m'aimerait avec tendresse, que j'aimerais avec la tendresse d'une soeur, faute de ne pouvoir le posséder un peu plus. Nous aurions parlé de choses et d'autres pendant le trajet, et il m'aurait vue passer de l'inquiétude à l'énervement, de l'énervement à l'excitation, à moins qu'il n'ait réussi à me distraire complètement en m'entretenant d'un problème grave. Mais ainsi, je serais au moins aussi énervée, alors que le train s'arrêterait et que je devrais débarquer sans m'être préparée à une nouvelle rencontre avec toi. Une irruption dans nos vies.

Mon ami se douterait que quelque chose serait en train de lui échapper, mais il ne s'attendrait à rien de précis. Il me verrait scruter les quais, dévisager les voyageurs: « Haben Sie ihn gesehen? ». Et au moment où ne te reconnaissant pas dans la foule, je renoncerais à comprendre, où je me résignerais à suivre le mouvement de la foule vers la sortie, une main toucherait mon épaule et un petit rire accueillerait mon visage surpris: tu m'aurais trouvée le premier.

Ma surprise ferait place à une joie sans mélange. Et mon ami pourrait voir un petit bout de femme quitter le sol, sauter au cou d'un géant, avec un long cri de guerre. Il se demanderait un instant s'il était le témoin d'une agression ou bien de retrouvailles un peu vives. Comment pourrait-il savoir que ce serait pour moi comme une rencontre improvisée avec celui qui m'aurait une fois sauvé la vie?

La conscience du lieu et du moment me reviendrait tout à coup à l'esprit et me ferait rougir de honte, ce qui ajouterait un charme nouveau à mon visage d'habitude trop pâle. Je procèderais enfin aux inévitables présentations et nous sortirions tous les trois de la gare en babillant.

« Fidelity to what? Loyalty to whom? ». Connaissant ma situation de femme mariée, mère de deux enfants, et mes sentiments passionnés pour leur père, mon ami se demanderait quelle attitude adopter. Il serait partagé entre une désapprobation morale, jouant à son insu, sur une gamme mineure, le rôle du mari, et une admiration muette pour mon audace et pour mon imprévisibilité. Me dirait-il encore que chacune de nos rencontres est pour lui une surprise renouvelée? Je lui glisserais quelques regards enjoués de petite soeur espiègle et ravie. Et entre temps, tu aurais pris ma main avec la discrétion qui est la tienne.

Nous serions en route pour une soirée d'anciens copains, organisée par une amie qui nous accueillerait avec son sourire de concierge, sans oublier de s'enquérir des éternels mêmes. « Et comment vont Monsieur... et les enfants...? »

La fête serait fade et conventionnelle. J'aurais gardé cette innocente candeur qui me ferait considérer comme naturel ce qu'ils considèreraient comme un curieux anticonformisme. Et en retour, nous nous étonnerions de les voir si longtemps vivre sous l'eau, dans un étrange oubli de l'air. J'aimerais toujours pour ma part laisser flotter mes cheveux et mes pensées. Et dans mes jupes, chaque rafale de vent serait comme autant de caresses sur mes jambes.

Nous serions dans une villa au bord de la mer, en Belgique. Et contrairement à tout ce qu'ils imagineraient – tragédie ou vaudeville – il ne se passerait rien du tout entre toi et moi. Les yeux suffiraient aux yeux et aucun geste ne serait donné en pâture à leurs regards.

Lou Schibronsky

Aucun commentaire: