jeudi 1 juillet 2010

Une contribution au beau projet "Baraques à Vaches"

Une certaine vache de baraque.

Par Anna Mastel.

- «Tu connais celle des deux jeunes bergers dont l’un vient finalement de coucher avec une femme ? »

- « … »

- « L’autre lui demande avec insistance : « Alors, c’était comment ? » Et le premier répond : « Eh, bien, je trouve qu’il y manquait quelque chose…je ne sais pas trop quoi. ».

- « Ah ! ah ! ah ! Elle te manquait, la queue ! Ah ah ! ah ! »

Phil raconte toujours une bonne demi douzaine de blagues après avoir couché. Une douzaine s’il a vraiment jouit de sa partenaire. Mais quand il emmène Marie-Chantal, il n’en raconte qu’une seule. Phil, c’est notre étalon du village. Il hésite entre poursuivre ses études de vétérinaire et faire la dentisterie. En tout cas, il finira des études médicales.

- « Pourquoi qui fait pas la médecine et puis la gynécologie ? Il en connaît déjà un bout par la pratique », dit Françoise amèrement. « De toute façon, il m’aura jamais comme patiente… Il m’aura jamais tout court, je veux dire. »

Françoise, « la framboise », c’est la garçonne du village. La rumeur dit qu’elle est gouine, mais moi, je sais qu’elle mange volontiers à tous les râteliers. Je sais tout, car j’ai tout vu. Moi, la baraque à vache, j’accueille toutes les vaches du village et leurs taureaux, j’ai même vu naître des veaux… Même ceux dont le village n’a jamais connu l’existence…Mais ça, c’est une autre histoire. Trop triste.

Françoise, la framboise, s’est promis de sauver la Marie-Chantal des pattes de Philippe. Faut dire qu’il lui en fait voir de toutes les couleurs, quand il l’emmène ici et la couche dans la paille.

- « Ah ! Les hommes préhistoriques ! Oh ! Darwin avait vu juste que nous descendons des singes», s’amuse-t-il a dire tout en besognant la Chantal qui gémit à quatre pattes.

- « C’est encore la position que je préfère », ajoute-t-il, « Et toi ma jolie jument, tu n’as rien a dire contre une belle queue profondément enfoncée dans ton… ». Il réfléchit un instant sur le choix des mots. Qu’est-ce qui va le faire jouir le plus, cette fois-ci ?

Or cette fois-ci, pas comme les autres mille et unes fois, Philippe, l’étalon, n’aura pas le temps d’élire une parole humiliante dans son vocabulaire ordurier. Tandis que Chantal mange en silence, comme d’habitude, ses cornets de glace à l’avanie, comme le dit si joliment Erno, le poète du village, la Framboise, du toit, balance un grand seau d’eau froide sur le dos et les fesses dénudées du bitu. De quoi rafraîchir ses ardeurs paysannes. Ensuite, Françoise disparaît dans le petit bois d’épicéas voisin.

Philippe sait qu’il ne sera jamais assez rapide pour attraper le plaisantin qui lui a fait ce mauvais tour. « Aaarg, le jour où je te mets la main dessus, putain de bordel de merde ! » Phil hurle sa frustration. Le mâle se reculotte et s’en va, laissant Chantal littéralement sur la paille et toute mouillée.

Depuis toujours, de puis l’enfance, Françoise est en rage contre les « amoureux » qui couchent dans la baraque à vache du père Bénédict.

Bénédict, le patriarche, c’est son grand-père. C’est lui qui mettait chaque année discrètement quelques petits ballots de paille dans le coin le plus sombre de la baraque. On se demanderait bien pourquoi. Est-ce qu’il venait reluquer les jeunes couples en catimini à travers mes planches disjointes ? Ou les trous dans mes vielles tôles ondulées ? Seule, Françoise sait que le Papy Bénédict n’est pas un vilain voyeur.

Elle sait de quoi il est capable… depuis ce jour, ce soir d’automne, où il guida la main d’une fillette de dix ans vers sa braguette ouverte… et ce n’était pas pour la refermer. Mais ça aussi, c’est une autre histoire, aux relents de velours sale de son pantalon côtelé qui sentait l’urine à plein nez. Trop triste aussi.Je préfère, moi, la vache de baraque, raconter les histoires où il y a de l’amour, celles qui finissent bien…

J’ai laissé la Marie-Chantal sur la paille. Elle a deux surnoms dans le village : les femmes l’appellent Marie-couche-toi-là, évidemment, parce qu’elle ne sait dire non à aucun garçon. Les hommes l’appellent le steak du village, le sac à foutre, ou parfois, notre pain quotidien. Mais ça, c’est plutôt ceux qui vivent du côté de l’église.

Alors que Phil est sorti en jurant, ne trouvant nulle part l’auteur de la blague humide, il s’en est retourné seul au café « Le miroir » pour s’admirer un coup dans ceux des toilettes et reprendre une bière.

Chantal abasourdie reste couchée dans la paille en se demandant comment elle en est arrivée là, comment elle s’est bâtie cette réputation de fille perdue.

Françoise, sa cousine germaine, s’approche en douceur et vient lui parler gentiment.

- «Désolée pour l’eau froide : c’est le seul moyen que j’ai trouvé pour faire déguerpir l’autre glandeur, ton branleur de Phil-la-queue-en-feu… » ricane-t-elle. « C’est ça, ma façon de jouer au pompier ! »

Chantal a l’air d’en rire, presque, ou bien se racle-t-elle seulement la gorge ?

- « J’ai toujours envié ton audace, tout ce que tu oses faire, tout ce qui t’arrive. » dit-elle tristement. « Tu sais, j’avais toujours l’impression que c’était toi, l’heureuse élue.»

- « Moi ? L’élue de qui ? L’élue de quoi ? »

- « Et bien Papy Bénédict, par exemple, il préférait toujours jouer avec toi ! Tu es son petit garçon manqué… »

- « Je me serais bien passée de ces jeux-là, tu sais », dit Françoise la gorge serrée, la voix cassée. « Ce salaud m’a volé mon enfance et il a presque fait que je suis….. morte à partir de la taille jusqu’aux pieds. » Françoise a les boules et des larmes de rage lui montent aux yeux. Elle prend une respiration profonde.

- « Moi, il me mes faut tous, les garçons, parce qu’il y en a un, notre grand-père bien aimé, patriarche respecté de tous dans le village, qui n’a pas voulu de moi et qui en a choisi une autre… » Marie-Chantal devient aussi ironique que sa cousine.

- « Et quelle autre ! Celle qui ressemble le plus à un garçon… Tu crois qu’il s’en est pris à nos cousins aussi ? »

- « Je ne sais pas. Ca, ils n’en parlent jamais et sûrement pas quand ils baisent. Mais il y en a bien deux ou trois qu’on dirait qu’ils ont quelque chose à prouver ou bien à se prouver dans la façon dont ils vous labourent… le vagin. On voit bien qu’ils ont pas encore été initiés… Qu’ils connaissent pas le bouton de rose, le déclencheur du plaisir… le clitoris. » Chantal soupire.

- Françoise : « Y en a qui te baisent avec la rage, les dents serrées. Quand c’est qu’ils vont découvrir le continent de l’amour ? Ou réinventer la roue de la tendresse ? »

Chantal ne dit rien, mais des larmes lui inondent le visage. Elle les laisse couler, calmement. « Viens-là, Marie, ne sois pas triste, tu es bonne. », dit Françoise en lui couvrant les joues de baisers et en lui buvant les larmes du bout des lèvres. « Viens là que je te bouffe la framboise… ! » Elles rient toutes les deux, maintenant et se roulent dans la paille.

Baraque à vache, je suis. Et mes vaches, toutes mes vaches, à quatre pattes ou à deux pieds, elles connaissent le bonheur… et ma tendresse les habitent. Et chez moi, elles apprennent aussi le goût du pardon, de la résilience et de l’espoir. Parce que moi, vache de baraque, j’aime la vie.

Leusden, le 12 juin 2010.

2 commentaires:

Dialogism a dit…

Anna Mastel a l'audace d'appeler une chatte une chatte.

Sur FB " Vachesde Baraques"
Sur la toile www.vachesdebaraques.be

Dialogism a dit…

Anna Mastel ose appeler une chatte une chatte.

Retrouvez le projet "Baraques à Vaches" sur la toile http://www.vachesdebaraques.be
et sur Facebook Vachesde Baraques.

Le livre sort des presses le 24 juillet. Présentation à la foire agricole de Libramont.